Atelier 5
Simulation numérique et apprentissage humain : le rôle de la cognition incarnée
(14h-17h)
Organisateurs de l’atelier
- Rawad Chaker, MCF, Université Lyon 2
- Nady El Hoyek, MCF, Université Lyon 1
Mots clés
Cognition incarnée, réalité virtuelle, simulation, apprentissage, rééducation
Site de l’atelier
https://cieseiah.hypotheses.org/
Résumé
L’objet du symposium porte sur les liens entre les environnements de simulation numérique et la cognition incarnée (ou embodiment) comme instance, ou dimension mobilisée pour l’apprentissage humain.
Pour la théorie de la cognition incarnée, les connaissances à acquérir sont reliées aux expériences physiques de l’apprenant. Cette théorie propose que la cognition est ancrée dans les expériences vécues par l’individu (Varela et al. 1992; Niedenthal et al. 2005), et donc par son appropriation de l’environnement dans lequel il se situe (Wilson et Foglia, 2011). Cette approche postule donc un lien très fort entre le corps, la perception et l’action. Le concept de cognition incarnée est de plus en plus mobilisé pour étudier les apprentissages et son évidence a été démontrée dans une grande variété de champs disciplinaires (Barsalou, 2008; Cook et al., 2017; Johnson-Glenberg et Megowan-Romanowicz, 2017; Kontra et al.2012). L’embodiment peut être intégré au paradigme plus large de la cognition distribuée (Castro-Alonso, Paas et Ginns, 2019): en d’autres termes, l’esprit est étendu au-delà des limites du cerveau (Clark et Chalmers 1998). Cela implique que les limites de capacité de la mémoire de travail et de ses composants de traitement visuospatial peuvent également être étendues au corps et à l’environnement. Cette extension de l’esprit a été étudiée par la théorie de la charge cognitive, la théorie pédagogique qui considère les limites de la mémoire de travail et du traitement visuospatial pour l’apprentissage (Castro-Alonso, Paas et Ginns, 2019). Les environnements informatiques, a fortiori les environnements de simulation virtuelle, n’échappent donc pas à cette règle. Pour ces raisons, il nous paraît nécessaire de proposer cette théorie cognitive comme paradigme essentiel pour la communauté EIAH, dans la mesure où les environnements numériques d’apprentissages prennent de plus en plus la forme d’environnements de simulation (réalité virtuelle, réalité augmentée, réalité mixte), faisant donc appel non plus seulement à des interfaces tactiles ou des terminaux connectés, mais également à des technologies mobilisant l’action du corps humain (body) via l’immersion virtuelle.
Plus spécifiquement, des outils de réalité augmentée (Jain et al., 2017) et de réalité virtuelle (Weyhe et al.2018) ont été développés pour enrichir l’expérience des étudiants. Il a par exemple été démontré que guider l’attention visuelle de l’apprenant améliore son raisonnement spatial et par conséquent sa compréhension du corps humain (Roach et al., 2018). Par exemple, l’exécution du mouvement (encodage enacté) pendant l’apprentissage et la mémorisation des phrases d’action produit de meilleures performances que la simple mémorisation des phrases (encodage verbal) (Masumoto, 2006; Macedonia & Mueller, 2016). Dans le domaine des STEM (Science, Technology, Engineering and Mathematics), Johnson-Glenberg et ses collègues (Johnson-Glenberg, 2018; Johnson-Glenberg & Megowan-Romanowicz, 2017) ont proposé une taxonomie pour évaluer le degré de cognition incarnée dans l’activité, autrement dit la quantité de l’engagement sensori-moteur, la congruence entre le geste et le contenu, et la quantité d’immersion ressentie par l’utilisateur. Un exemple parlant: selon Wiedenbauer et Jansen-Osmann (2008), un entraînement à la rotation manuelle améliore les performances de rotation mentale. Ces dernières sont directement en lien avec l’apprentissage des STEM. Outre le domaine des STEM, le développement des compétences de communication en langues sur les plans verbaux et non-verbaux bénéficient également de la cognition incarnée.
Beaucoup de recherches soutiennent donc le lien entre la réalité virtuelle, la cognition incarnée et l’apprentissage humain, les interactions avec un avatar humain permettant l’identification de l’utilisateur. Plusieurs sous-processus cognitifs peuvent ainsi être sollicités dans cette auto-identification très complexe. Par exemple, les individus s’exprimant à travers des objets physiques (Prentice, 1987; Hassenzahl, 2003), l’interaction avec un avatar humain fait appel à l’empathie (Hamilton-Giachritsis et al., 2018). L’imagerie mentale et motrice, l’observation de l’action et la cognition incarnée font en effet partie des composantes de l’empathie: on perçoit les autres à travers sa propre cognition incarnée (Decety et Jackson, 2004). Les travaux de Philip Jackson (participant à ce congrès) et ses collaborateurs sur l’impact de l’âge et du genre d’un avatar sur la perception de douleur et l’empathie exprimée par des utilisateurs constituent une avancée majeure dans le domaine de la formation des professionnels de santé.
Dans le cadre de ce symposium, nous cherchons à d’abord faire un bilan de l’état de la recherche francophone et internationale mettant en lien cognition incarnée et apprentissage humain, dans le contexte des EIAH. Les différentes interventions portent sur des champs disciplinaires pluriels: rééducation, psychologie, enseignement de l’anatomie et de la physiologie, enseignement des langues. Ce qui permettra de montrer comment, dans des situations didactiques, technologiques et curriculaires différentes, la théorie de la cognition incarnée peut être mobilisée pour expliquer les apprentissages. Ces interventions permettront également une réflexion plus globale sur l’état de la connaissance concernant la cognition incarnée dans les environnements de simulation virtuelle pour l’apprentissage, au niveau francophone international. Qu’est-ce que cela change d’une discipline à l’autre? D’un type d’environnement simulé à l’autre? D’un type d’objectif pédagogique à atteindre à l’autre?
Nous examinerons par exemple si les environnements virtuels immersifs permettent aux apprenants de développer des compétences de communication en langues sur les plans verbaux et non-verbaux, et ce, notamment à travers la création de leurs avatars, que nous considérons comme des métaphores des corps des acteurs/apprenants, et de la contextualisation proche du réel apportée par les simulations dans la réalité virtuelle. Egalement, nous montrerons comment un outil de visualisation en 3D des articulations, par la visualisation et la manipulation mentales de structures anatomiques dans les trois plans de l’espace font appel à des processus moteurs en lien avec l’« embodiment ». Cet outil 3D interactif permet à la fois une expérience corporelle personnelle et améliore la représentation spatiale de l’anatomie fonctionnelle musculo-squelettique. Les apprenants peuvent analyser et recréer une série de mouvements dans des situations interactives permises par la 3D temps réel. Une intervention portera sur l’usage de la réalité virtuelle pour la rééducation de personnes atteintes d’AVC via déplacements d’avatars. Tandis qu’une autre intervention fera un bilan de la recherche portant sur la formation des professionnels de la santé via l’usage d’avatars virtuels, et son impact sur l’empathie comme effet induit par la présence de la cognition incarnée.
De manière générale, les interventions durant ce symposium tenteront de démontrer que la cognition incarnée peut être mobilisée comme cadre explicatif de situations d’apprentissages différentes, médiées par des outils de simulation et/ou d’immersion différents.
Le bilan de ce symposium nous permettra de proposer une définition des principes sur lesquels repose les paradigmes de l’embodiment et de l’enaction, et de les appliquer à différents champs disciplinaires à travers l’utilisation de ces nouvelles technologies.
Nous espérons que ce symposium participera à la structuration d’une communauté de chercheurs francophones mobilisant la théorie de la cognition incarnée (et ses différentes approches, telles que les cognitions ancrée, située et distribuée) dans leur travaux sur les EIAH.
Références:
Barsalou, L.W., (2008). Grounded cognition. Annu. Rev. Psychol. 59, 617–645. https://doi.org/10.1146/annurev.psych.59.103006.093639
Castro-Alonso, J. C., Paas, F., & Ginns, P. (2019). Embodied cognition, science education, and visuospatial processing. In Visuospatial processing for education in health and natural sciences (pp. 175-205). Springer, Cham.
Clark, A., & Chalmers, D. (1998). The extended mind. Analysis, 58(1), 7–19. https://doi.org/10.1093/analys/58.1.7
Chaker, R., Binay, M., Gallot, M., Hoyek, N. (2021). User Experience of a 3D Interactive Human Anatomy Learning Tool. Educational Technology and Society, 24(2).
Decety, J., & Jackson, P. L. (2004). The functional architecture of human empathy. Behavioral and cognitive neuroscience reviews, 3(2), 71-100.
Hamilton-Giachritsis, C., Banakou, D., Garcia Quiroga, M. et al. (2018). Reducing risk and improving maternal perspective-taking and empathy using virtual embodiment. Sci Rep 8, 2975. https://doi.org/10.1038/s41598-018-21036-2
Hassenzahl, M. (2003). The thing and I: Understanding the relationship between user and product. In M.A Blyth, A.F. Monk, K. Overbeeke 1 P.C. Wright (Eds). Human-computer interaction series (3). Funology: From usability to enjoyment. pp. 31-42.
Jain, N., Youngblood, P., Hasel, M., Srivastava, S. (2017). An augmented reality tool for learning spatial anatomy on mobile devices. Clin. Anat. N. Y. N, 30, 736–741. https://doi.org/10.1002/ca.22943
Johnson-Glenberg, M. C. (2018). Immersive VR and education. Frontiers in Robotics and AI, 5(85).
Johnson-Glenberg, M. C., & Megowan-Romanowicz, M. C. (2017). Embodied science and mixed reality: How gesture and motion capture affect physics education. Cognitive Research: Principles and Implications, 2(24). https://doi:10.1186/s41235-017-0060-9
Macedonia, M., & Mueller, K. (2016). Exploring the neural representation of novel words learned through enactment in a word recognition task. Frontiers in Psychology, 7, 953. https://10.3389/fpsyg.2016.00953
Niedenthal, …Ric, F. (2005). Embodiment in attitudes, social perception, and emotion. Per & soc psy rev 9(3).
Roach, V. A., Fraser, G. M., Kryklywy, J. H., Mitchell, D. G. V., & Wilson, T. D. (2018). Guiding low spatial ability individuals through visual cueing: The dual importance of where and when to look: Guiding the Learner through Visual Cueing. Anatomical Sciences Education. https://doi:10.1002/ase.1783
Varela, F. J., Thompson, E. T., Rosch, E. (1992). The embodied mind: Cognitive science and human experience. MIT P.
Weyhe, D., Uslar, V., Weyhe, F., Kaluschke, M., Zachmann, G., (2018). Immersive Anatomy Atlas-Empirical Study Investigating the Usability of a Virtual Reality Environment as a Learning Tool for Anatomy. Front. Surg. 5, 73. https://doi.org/10.3389/fsurg.2018.00073
Wiedenbauer, G. & Jansen-Osmann, P. (2008). Manual training of mental rotation in children. Learning and instruction, 18, 30-41.
Wilson, R. A., Foglia, L. (2011). Embodied cognition. https://plato.stanford.edu/entries/embodied-cognition/
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