Quand la didactique des langues étrangères se saisit de la question numérique

By Lionel Alvarez

Les didactiques disciplinaires se saisissent, chacune à leur rythme et selon leurs besoins, de la question « numérique » dans leur domaine. Pour illustrer cette démarche, le CRE/ATE a questionné…

Les didactiques disciplinaires se saisissent, chacune à leur rythme et selon leurs besoins, de la question « numérique » dans leur domaine. Pour illustrer cette démarche, le CRE/ATE a questionné Audrey Bonvin du CeDiLE – Centre de didactique des langues étrangères – sur cette interaction actuellement étudiée : numérique et didactique du plurilinguisme.

Audrey Bonvin, tu travailles au CeDiLE, enseignes la didactique du plurilinguisme et ton doctorat traite de structure informationnelle et bilinguisme. Ton opinion m’intéresse concernant la place des artefacts numériques dans l’enseignement des langues. Quel est ou pourrait être le rapport des jeunes à l’apprentissage des langues étrangères maintenant que des solutions numériques traduisent spontanément notre discours dans n’importe quelle langue ?

D’une part, ils pourraient, selon un principe d’économie et dans une vision relativement simpliste de l’apprentissage, remettre en question la nécessité d’apprendre des langues étrangères. Pourquoi tant d’effort pour réussir à produire un texte en langue étrangère alors qu’un programme de traduction peut faire une grande partie du travail ?

D’autre part, les expériences linguistiques extrascolaires des jeunes sont importantes, notamment chez les gamers. En apportant ainsi un savoir langagier plus ou moins solide en classe (surtout pour l’anglais, mais potentiellement aussi concernant des pratiques plurilingues, mot-clé : code-switching), les jeunes pourraient être plus décomplexé·e·s par rapport à l’apprentissage des langues étrangères et communiquer plus facilement.

Quels sont les usages d’artefacts numériques (1) rependus dans l’enseignement des langues étrangères ? et (2) documentés par la recherche ?

Puisque ma recherche ne porte pas sur ces thématiques, je me réfère à une sélection de projets que j’ai découvert, notamment dans le cadre de mon récent poste au CeDiLE, pour donner un aperçu incomplet bien sûr.

Comme suggéré dans ta première question, les programmes de traductions sont aujourd’hui utilisés en classe que ce soit pour l’apprentissage du vocabulaire, le développement des compétences écrites ou encore de la compétence de médiation linguistique pour ne citer que quelques exemples. Un des rôles de la recherche consiste à documenter l’usage de ces outils et de tester lesquels aident au développement des compétences langagières visées. Le projet de recherche Les outils de traduction en ligne dans l’enseignement des langues étrangères de l’Institut de plurilinguisme traite notamment de cette thématique et a par ailleurs développé une fiche didactique pour le travail en classe avec ces outils de traduction automatique.

Dans une approche plus linguistique, l’usage de corpus de productions langagières authentiques pour l’enseignement des langues est également une question actuelle. Par exemple, le projet de recherche DiCoi de l’Institut de plurilinguisme développe du matériel didactique basé sur ce type de matériaux authentiques et teste leur effet sur le développement de la compétence d’interaction.

Pour le développement de compétences plurilingues et interculturelles, il existe des plateformes d’échanges ou de tandems virtuels. Par exemple, le projet AlpConnectar, développé en collaboration avec la recherche, promeut les rencontres dans l’espace numérique et in situ entre les élèves primaires. Un avantage du numérique semble être son aide à la préparation de la rencontre et à la prolongation des contacts.

D’autres projets s’intéressent aux opportunités offertes par des visites de musées en ligne pour l’apprentissage des langues. Quelques didacticien·ne·s testent également divers aspects des technologies de réalité virtuelle en classe de langues.

Et finalement, comme pour toutes les branches enseignées, internet est tout simplement un lieu de ressources facilement accessibles. D’une part, les moyens d’enseignement disposent de plateformes avec des ressources supplémentaires (numériques ou non), par exemple pour soutenir un enseignement différencié. La fréquence de leur usage et leur utilité est notamment questionnée lors de suivis scientifiques d’introduction des moyens d’enseignement. Ces pratiques dépendent de plusieurs facteurs et sont en constante évolution. À cela s’ajoute une multitude de ressources disponibles librement sur internet, soit pour l’apprentissage de langues précises, mais aussi pour la didactique du plurilinguisme. Leur usage s’est certainement intensifié durant la pandémie, mais la qualité pédagogique et les bases scientifiques sous-jacentes à ces ressources libres varient.

Finalement, quelles sont les questions brulantes pour la didactique des langues étrangères dans le contexte actuel de numérisation ?

J’imagine que, comme dans d’autres didactiques, l’accompagnement des enseignant·e·s dans l’usage des outils numériques ou encore l’autonomisation de l’apprentissage sont des thématiques brulantes. Plus généralement, il semble nécessaire de répondre à de grandes questions comme « que signifie aujourd’hui apprendre une langue ? », « Quelles compétences travaille-t-on le mieux avec les outils numériques ou à distance, lesquelles en offlines ou en interaction directe ? » ou encore « Quelles sont les lignes didactiques permettant un usage profitable des artefacts numériques » ?

Je constate un grand intérêt pour la thématique de l’éducation numérique dans notre environnement actuel. Par exemple, le numéro 1/2022 de Babylonia (une revue suisse sur l’apprentissage et à l’enseignement des langues) se penche sur le rôle des outils numériques dans l’apprentissage du vocabulaire, tandis que le numéro 2/2022 questionne notamment la relation entre la digitalisation de l’éducation et le développement du plurilinguisme. En plus des questions acquisitionnelles, la dimension sociale de l’apprentissage des langues à l’ère de numérique est questionnée, notamment dans un colloque à venir à la HEP de Lucerne.

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Audrey Bonvin a aussi interrogé Lionel Alvarez dans une interview brève, c’est ici : https://cedile.ch/blog-fr/ ou https://cedile.ch/la-recherche-sur-le-numerique-en-education-au-centre-cre-ate/

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