C’est dans le cadre de la 18e édition des « Rencontres du Réseau international francophone de recherche en éducation et formation » (REF), organisée par l’Université de Fribourg et la Haute École pédagogique de Fribourg du 2 au 5 juillet 2024, que le colloque scientifique « Données numériques : abondance, pertinence et éthique » s’est tenu, le mercredi 3 juillet 2024 à Fribourg.
Cet événement a rassemblé environ 600 participants intéressés par la recherche en éducation et formation, dans le but de discuter des enjeux liés aux données numériques dans ces domaines, y compris l’enseignement-apprentissage, la formation et les politiques éducatives. La numérisation de l’éducation génère d’énormes volumes de données, offrant de multiples possibilités d’analyse et de développement. Cependant, l’utilisation de ces données soulève des défis majeurs en termes de confidentialité, de sécurité, d’accès équitable et d’éthique.
Dans ce cadre, Pascal Detroz, professeur à l’université de Liège (Belgique) ouvre le colloque à travers une conférence inaugurale intitulée « Plongée en mer de données, à la recherche de trésors enfouis » (Figure 1). Il a été principalement question de la place de l’humain dans les processus de décision et d’évaluation, désormais délégués de plus en plus aux IA. Ainsi, la crainte de se voir imposer des décisions dictées par ce qu’il nomme « l’algorithmocratie » se renforce dès lors que la logique derrière ces algorithmes est occultée.
Figure 1. Conférence d’ouverture par Pascal Detroz (Université de Liège)
À la suite de cette conférence d’ouverture ont eu lieu plusieurs sessions simultanées sur le rapport aux données dans l’apprentissage, dans la recherche, dans la formation et dans les politiques de l’éducation. Parmi les interventions, trois membres du CRE/ATE ont présenté leurs travaux sur des sujets variés. Lionel Alvarez, professeur associé à la HEP et privat-docent à l’Unifr, a discuté de « la quantification grâce à la numérisation » et des possibilités d’encapacitation des enseignants (Figures 2/3). Thierry Geoffre, professeur ordinaire à la HEP|PH FR, a partagé ses recherches sur l’expérimentation de « l’Adaptive Learning à l’école ». Kostanca Çuko, professeure associée à la HEP — accompagnée de Pierre-François Coen, professeur ordinaire à l’Unifr — a présenté l’outil OURA, soulignant les données produites par les étudiant·e·s, sur invitation de l’enseignant·e durant un cours.
Figure 2. Lionel Alvarez présente la capacitation enseignante face aux données.
Figure 3. Thierry Geoffre discute des données issues d’une plateforme de gamification
L’utilisation éthique des données a été abordée par Valérie Duviver, doctorante à l’Université de Mons (Belgique). En effet, dans un dispositif d’évaluation de l’implication en classe par oculométrie, les données deviennent assez sensibles et leur recueil et exploitation nécessitent forcément un consentement préalable et explicite pour toutes les parties prenantes.
Pour la clôture de cette journée déjà riche en contenus et échanges, l’écrivain et philosophe français Éric Sadin était l’invité des organisateur.ices (Figure 4). En effet, après les débats technocentriques, l’heure était à la réflexion, à la prise de recul et à la pensée libre !
Néanmoins, pour cette conférence de clôture, le ton était moins enthousiaste. Éric Sadin, rappelle la révolution des IA génératives depuis le 30 novembre 2022 (sortie de chat GPT au grand public). Ainsi, il explique que les avantages ont certes été énormes, mais que les répercussions vont également être considérables. Remplacement des humains par des machines, disparition de certains métiers et perte de contrôle sur les contenus sont tous des phénomènes à avoir lieu dans un proche avenir, explique-t-il. Et qu’en est-il du coût énergétique des IA génératives ? Ne pas prendre l’avion suffira-t-il si l’on génère des milliards de signaux électriques sur des milliers de serveurs pour un simple prompt ? Devra-t-on expliquer à nos enfants que tout contenu multimédia (image, vidéo, son…) est potentiellement factis car probablement produit d’une IA générative ? Mais comment donc reconnaitre le vrai du faux ? Aura-t-on un jour le choix entre aller chez le médecin ou demander à l’IA de nous faire une prescription ? Mais vers quelle société se dirige-t-on ? s’exclame-t-il.
Figure 4. Conférence de clôture par Éric Sadin
Des questions, qui seront bientôt la réalité d’après Éric Sadin, lors d’une conférence qui n’a pas laissé le public indifférent. Entre acceptations de ce discours par certain·e·s et remise en question par d’autres, les débats se sont poursuivis lors de l’apéritif de clôture, à la sortie de l’auditoire Joseph Deiss. « Alors c’est confirmé, nous serons remplacés par des machines ? Nos métiers vont disparaitre ? », se demande une personne. « Oui, mais d’autres métiers seront créés pour la programmation et la maintenance de ces machines », lui répond une autre. « Ce n’est pas si simple. Les machines ne peuvent pas prendre le contrôle. Elles n’ont pas de conscience ! Il faut les voir plutôt comme des outils », répond un autre.
Il semble alors aujourd’hui nécessaire de saisir comment les enseignant·e·s peuvent se saisir des données numériques pour rester acteurs et actrices de l’éducation et de la formation.
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